« Intelligence artificielle, intelligence humaine : la double énigme », de Daniel Andler : chimériques machines qui pensent


HAL, l’IA de « 2001, l’odyssée de l’espace », de Stanley Kubrick (1968).

« Intelligence artificielle, intelligence humaine : la double énigme », de Daniel Andler, Gallimard, « NRF essais », 434 p., 25 €, numérique 18 €.

L’apparition vers 2018 des grands modèles de langage autorisant un ordinateur à produire du texte, comme le lancement très récemment de ChatGPT ou de Bard, conséquence la plus spectaculaire de cette découverte, ont assurément bouleversé le paysage de l’intelligence artificielle (IA). Mais la capacité de dialoguer ainsi conférée à un automate a-t-elle vraiment donné chair au songe faustien qui a accompagné la naissance de l’IA depuis la fin de la seconde guerre mondiale : égaler, dépasser, voire remplacer l’homme ?

Comme l’évoque la métamorphose criminelle de l’ordinateur HAL dans 2001 : l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick (1968), la perspective nourrit autant d’angoisse que d’enthousiasme. Le philosophe Daniel Andler, l’un des meilleurs spécialistes des sciences cognitives, publie opportunément, en cette heure de gloire des technosciences, Intelligence artificielle, intelligence humaine : la double énigme, somme dense, efficace, car pleine de savoir et d’humour, qui saura dégriser les anxieux comme les inconditionnels.

S’il ne conteste pas l’importance du saut qualitatif ainsi franchi, marqué par l’émergence d’un « réveil éthique » dans une discipline qui ne s’intéressait jusque-là qu’aux prouesses intellectuelles, Daniel Andler prend à rebours l’opinion courante et toute une tendance philosophique fascinée par le brouillage croissant entre le cyborg et l’humain, en démontrant que l’écart entre la technologie et l’homme, loin de s’être comblé, s’est accru. Par une reconstitution précieuse de l’histoire de l’IA, qui occupe la première partie de ­l’essai, il montre à quel point la réalité des progrès et des échecs de l’IA contredit la « rhétorique de la victoire inéluctable ». Ce triomphalisme propre à la culture de la « numérisphère » (population de programmeurs et d’entrepreneurs qui s’épanouit à côté des chercheurs) n’est d’ailleurs pas sans rappeler les prophéties sur la victoire du prolétariat ou les discours confondant le capitalisme libéral avec une loi de nature, sans ­alternative possible ni ­pensable.

Or, le « rêve prométhéen » d’une intelligence artificielle qui rejoindrait celle de l’homme, non seulement n’a pas abouti, mais surtout, établit Andler, s’apparente à une « chimère » ou à un problème mal posé. Cet échec a des causes conceptuelles et non techniques. Il repose sur une définition restrictive de l’intelligence humaine comme capacité de « résolution de problèmes » (où la machine peut avoir l’avantage). En réalité, l’intelligence humaine, de plus en plus conçue comme mêlée d’affects, remplit bien d’autres tâches (comprendre le monde, connaître l’environnement, etc.).

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